Nocturnal Animals ★★★

Entre deux collections, Tom Ford échange sa casquette de styliste avec celle de réalisateur. Après avoir fait une entrée remarquée dans le monde du cinéma avec A Single Man en 2009, il confirme ses talents de metteur en scène et de scénariste aujourd'hui avec Nocturnal Animals, un film bien plus sombre et violent que le précédent mais tout aussi esthétique. On en redemande.

Susan aurait aimé passer un week-end seule avec son mari, pour faire une parenthèse dans sa vie bien rangée, riche mais artificielle, pour oublier un peu sa galerie d'Art contemporain. Celui-ci part encore une fois pour gérer ses affaires à New York et elle se retrouve seule dans leur grande maison. Le hasard faisant bien les choses, elle reçoit à ce moment là un manuscrit du prochain roman de son ex-mari, qui lui offre la primeur de le lire et lui propose de se revoir lors de son prochain passage à Los Angeles. Elle se lance alors dans cette lecture qui va la bouleverser tout en lui remémorant leur passé...

Tom Ford a choisi d'adapter très librement "Tony & Susan", un roman d'Austin Wright paru dans les années 90. En ne gardant ainsi que l'essence de cette histoire, il transpose l'action dans notre époque et dans des lieux qui font échos à sa propre vie : Los Angeles où il vit actuellement et le Texas où il a grandit. Il a su s'entourer d'un bon directeur de la photographie, Seamus McGarvey (Anna Karenine) et d'un chef décorateur de goût, Shane Valentino (Somewhere), pour recréer les ambiances qu'il recherchait. Los Angeles est ainsi très moderne et superficiel dans un bleu froid alors que le Texas vient salir toute cette belle apparence dans une couleur chaude inquiétante.

Pour incarner ses personnages, il a réuni un casting de luxe. Tout d'abord Amy Adams, qu'on a eu le plaisir de voir récemment dans Premier Contact, brille de nouveau dans Nocturnal Animals en incarnant cette femme à l'apparence très froide et maîtrisée qui cache un passé beaucoup moins lisse. On se rend compte d'ailleurs que les gens qui l'entourent quotidiennement ne la connaissent pas. Puis il y a Jake Gyllenhall, toujours aussi possédé par son personnage, toujours aussi parfait pour incarner quelqu'un qui souffre intérieurement. Il est l'extrême opposé de celui qui est le mari actuel de Susan, qu'on voit peu mais qui a le temps de poser l'esprit de son personnage sous les traits d'Armie Hammer. Côté Texas, on rencontre Michael Shannon en inspecteur de police à la personnalité unique et on n'imagine pas un autre acteur à sa place. Enfin, Aaron Taylor-Johnson a le rôle le plus ambigu puisqu'il navigue entre bourreau et victime, le scénario jouant avec l'esprit de son spectateur très intelligemment.

Ce scénario, parlons-en. Il est vraiment très bien écrit puisqu'il raconte trois histoires simultanément, sans jamais perdre l'attention du spectateur, au contraire. Plus on avance, plus on se pose des questions, plus on comprend le machiavélique plan d'Edward, l'ex-mari écrivain. La musique d'Abel Korzeniowski vient confirmer l'ambiance tendue de ce thriller psychologique à la Hitchcock, surtout quand on voit Susan à la fois terrifiée par la violence du livre et bouleversée par les souvenirs qu'il évoque. En effet, ce livre est loin d'être un cadeau, il se transforme au fil de sa lecture en objet de torture mentale, telle une vengeance froide et lente. Ainsi, on navigue entre la vie actuelle de Susan, à l'allure bien fade malgré les apparences, ses souvenirs avec Edward, et en parallèle avec la transposition à l'écran de l'histoire qu'elle lit.

Lorsqu'on se rend compte du pouvoir du livre sur l'esprit de Susan et surtout de sa signification, tel un poignard qui vient ouvrir une vieille plaie et tourner dedans, on a hâte d'aller plus loin, de voir comment ce roman se termine. Aussi, on se demande si elle va vraiment répondre à son invitation de revoir Edward, de lui dire ce qu'elle a vraiment ressentie en lisant son livre. Est-ce qu'elle va s'excuser ? En tout cas, dans le livre, Edward est allé bien plus loin que sa propre vie. Il s'en est nourri pour créer cette métaphore extraordinaire de l'abandon et la douleur, la colère, que cela peut créer. Surtout, rien n'est montré au hasard, chaque détail a un sens.

Ce paragraphe peut spoiler le film, sautez-le si vous n'avez pas vu Nocturnal Animals et revenez le lire plus tard.
En y intégrant le personnage de Ray, Edward crée une ambiguïté. Il est fascinant par sa violence, sa folie imprévisible et son physique attractif, ou quand le beau gosse est la pire des ordures. Puis on ne le comprendra qu'à la fin, Ray incarne une partie de Susan, celle qui a tué leur amour, celle qui lui aura gâché sa vie, mais aussi celle qui l'aura assez bousculé pour dépasser ses limites. Tout ceci est la métaphore de ce qu'il aura ressenti au moment de la rupture et durant ces années, pour finalement écrire ce livre, après une longue période d'enquête sur qui il est. Ainsi, l'inspecteur Andes devient lui aussi une sorte de double d'Edwards, celui qui n'a aucun scrupule et va jusqu'au bout pour découvrir la vérité.

Tom Ford entre par la grande porte dans le club des réalisateurs de talent après seulement deux long-métrages, sachant jongler dans des styles différents tout en apportant un style esthétique très personnel. Nocturnal Animals frappe par la beauté de ses images et les différents types de violence qu'elles peuvent renvoyer, qu'on soit devant Amy Adams très élégante seule et perdue dans sa maison et dans ses souvenirs, ou aux côtés de Jake Gyllenhall à la gueule cassée impuissant face à ses agresseurs mais qui ne lâche pas le morceau. Mieux, Tom Ford arrive à recréer une ambiance tendue à la Hitchcock, comme s'il emmenait son héroïne tout en haut du clocher de Vertigo et lui offrir une longue chute dans la vengeance froide de son ex-mari. Saisissant, ce film s'impose par sa délicate beauté, sa brutalité inattendue et son scénario bien ficelé.